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8e forum mondial de l’eau par Guy Fradin

Guy Fradin, Président du Conseil d’orientation stratégique de l’Engees, commente le déroulement du 8e forum mondial de l’eau auquel il participe.

Le 8e Forum mondial de l’eau se tient à Brasilia du 18 au 23 mars 2018. Organisé par Conseil mondial de l’eau dont l’ENGEES est membre, ce forum est l'événement triennal majeur sur la thématique « eau ».

Ouverture du Forum

Hier c'était la première journée, avec le matin la cérémonie d'ouverture qui a donné des cheveux blancs aux organisateurs. En effet le Président de la République (PR) n'a pas voulu se rendre sur le site du Forum (raisons politiques internes) et il y a eu deux cérémonies : l'une au Palais Itamaraty des Affaires étrangères (magnifique architecture contemporaine) avec le PR et l'autre sur le site du Forum.

Deux cents personnes environ étaient invitées à la première. Nous avons attendus une heure le PR et écouté son discours, celui du gouverneur du district de Brasilia et celui du Président du Conseil mondial de l'eau qui étaient retransmis par vidéo sur le site du Forum. Il n’y a pas grand-chose à en dire sinon que le gouverneur a fait une dynamique présentation des efforts consentis par son district en faveur de l'environnement et en particulier du traitement des déchets.

Puis nous avons entendus les discours des chefs d'Etat (Hongrie, Cap vert, Guyane, Sao Tomé-et-Principe) du Prince héritier du Japon, et des chefs de gouvernement (Corée, Monaco, Guinée équatoriale, Sénégal, Maroc) et de la DG de l'UNESCO.

La cérémonie d’ouverture s'est terminée par la traditionnelle remise par les Marocains du Hassan II King prize. C'est l'OCDE qui est le lauréat. Revenons aux discours d'ouverture dont on peut rarement attendre des percées conceptuelles ou politiques majeures. Cependant, on apprend quelques petites choses intéressantes au passage. Par exemple le PR nous a dit que le Brésil avait inversé la courbe de déboisement de la forêt Amazonienne.

Le PR de Hongrie (pays très investi dans la cause de l'eau) a présenté les éléments majeurs des travaux du panel des chefs d'Etat. Le PR du Cap Vert à fait une description très positive de la situation hydrique de son pays malgré un potentiel très faible et expliqué qu'il avait brisé le couple sécheresse/faim; les investissements en matière de désalinisation et de retenues permettent d'espérer une disponibilité en eau pour le citoyen de 90l/j/hab en 2023. 

Le PR de Sao Tomé-et-Principe a expliqué avec à mon avis un peu de candeur que son pays disposait d'un potentiel hydrique remarquable en eaux de surface et souterraines soit 10000m3/hab/an. Toutefois le pays ne mobilise que 0,045% de ce potentiel. Ce n'est pas le seul pays, africain notamment, dans cette situation. Comme quoi il est toujours nécessaire de conduire une action de mobilisation pour la mise en place des politiques de l'eau. Car c'est bien ce qui manque d'abord et non pas les financements comme on affecte souvent de le penser !

Le PM de Monaco a fait un discours engagé mais j'ai regretté qu'il ait repris l'antienne classique sur l'utilisation "exagérée" de l'eau par le secteur agricole (les fameux 15000 litres nécessaires pour produire 1kg de viande). Le débat sur l'eau agricole est évidemment un vrai débat mais ce genre d'argument, issu de position dogmatique, n'a, à mon sens, pas sa place.

Le PM du Sénégal a évidemment annoncé le 9° Forum de Dakar avec leur projet de lancement d'un "Fond bleu" d'investissement qui serait finalisé en 2021, l'initiative 2021 visant à lancer 2021 projets en Afrique d'ici le Forum. Il a présenté l'office de mise en valeur du fleuve Sénégal comme un exemple de coopération transfrontalière. D'une part, c'est vrai et c'est important de le souligner tant ce sujet est délicat sur le plan politique dans beaucoup d'endroits du monde et d'autre part, c'est un sujet que les Sénégalais voudront porter au 9° Forum.

Restons-en à la manifestation politique de haut niveau: "as usual" le Forum a adopté à la fin de sa première journée la déclaration ministérielle. Il faut bien en parler mais malheureusement cette déclaration est, j'allais dire "comme d'habitude", politiquement faible pour ne pas dire insignifiante. Après avoir rappelé les attendus traditionnels, certes majeurs (ODD, Climat) elle a reformulé des objectifs généraux bien connus.

Plus concrètement, j'ai participé à une session sur "water security" concept politique relativement nouveau et très large. Le ministère chinois des ressources en eau et le conseil mondial de l'eau y ont présenté un ouvrage rassemblant 10 études portant sur la définition et la mise en œuvre des politique de "water security" dans 10 pays différents dont la France. Ce n'est pas parce que j'étais membre du comité technique de cet ouvrage mais je trouve que c'est une excellente initiative et une grande réussite. Il montre clairement la multiplicité des situations, des priorités ( risques, préservation de la ressource, accès à l'eau et à l'assainissement, mise en œuvre de technologies innovantes, institutions, gouvernance, participation des populations et collectivités, planification,...), des stratégies de réponse et des réussites et échecs. Excellent ouvrage de partage des expériences, je pense que nous allons en assurer la traduction française et une large diffusion.

Enfin pour terminer cette première journée, j'ai représenté le conseil mondial de l'eau dans une table ronde ministérielle sur l'implication des populations, et notamment des plus défavorisées, et des communautés locales. L'un des deux " lead speakers" était un évêque représentant le Vatican (très présent sur les questions de développement et d'environnement, cf. l'encyclique "laudato si"). Il a essayé d'élever le débat sur les questions éthiques, culturelles, philosophiques et spirituelles que posent le respect de ces communautés et leur participation à leur propre développement mais sans succès. Pour ma part, j'ai repris les points qu'il avait abordé en essayant de les connecter avec des conclusions concrètes en matière de politiques de l'eau.

Deuxième jour

Hier, deuxième journée, j'ai essentiellement travaillé pour le compte d'IWRA dont je suis le secrétaire général. Rencontre avec les Coréens, pour mettre au point la préparation du 17° congrès d'IWRA qui se tiendra en 2020 à Daegu. Il aura lieu 10 mois avant le Forum mondial de l'eau de Dakar et revêtira donc une importance particulière dans la préparation de cet événement.
Rencontre avec l'association américaine de la ressource en eau pour évoquer la création dans ce pays d'un "chapter" d'IWRA, c'est à dire d'un relais local impliquant les institutions américaines intéressés par cette thématique et produisent du savoir en la matière.
Rencontre avec le ministre chinois de la ressource en eau pour évoquer les suites à donner à notre action conjointe en matière de "water security". Ce sujet fera partie des priorités du Forum mondial de Dakar.
Pendant ce temps les parlementaires (environ 150, dont 40% d'internationaux) travaillaient pour adopter leur déclaration.

Cette déclaration est d'une bien meilleure tenue que la déclaration ministérielle. Certes elle émane d'un groupe restreint de parlementaires mais ceux-ci ont pris la peine de formuler des engagements dans les champs d'action qui les concernent, notamment les questions de financement (puisque généralement ils votent les lois de finances) sur les cadres législatifs, sur la participation et la mobilisation des populations qu'ils représentent, sur le soutien à, et même l'interpellation de leurs gouvernements dans la mise en œuvre de politiques en faveur de l'eau et plus généralement du développent durable.

Ce processus parlementaire est né en 2006 au forum de Mexico, je suis heureux de voir qu'il progresse, lentement mais sûrement, d'un Forum à l'autre.

Troisième jour

Les Forums ont pour ambition d'être populaire. Brasilia a donc mis en place un village citoyen, de très grande taille, peuplé de multiples stands animés par des associations locales proposant des solutions concrètes en matière de gestion de l'eau ou des déchets au niveau familial ou local, des animations numériques de toutes sortes utilisant les dernières technologies numériques, bien sûr des lieux de débats et de présentations sur la base de vidéos ou de films.

Je l'ai parcouru en fin de journée le premier jour et j'avais déjà été étonné du nombre de personnes encore présentes à une heure tardive, mais hier après-midi c'était encore plus épatant : le village citoyen était envahi par une foule de personnes de tous âges, les enfants des écoles encadrés par leurs enseignants participaient joyeusement aux animations, partout il fallait attendre son tour, bref ce village à incontestablement attiré beaucoup de monde qui avait l'air particulièrement  heureux de se trouver là.

À chaque Forum, je l'avais évoqué lors de la précédente édition de Daegu, les organisateurs ont à cœur d'annoncer des chiffres de participation importants. Dès le deuxième jour nos amis brésiliens ont annoncé 45 000 visiteurs ce qui, je dois dire, m'a laissé un peu sceptique mais après avoir visité le village citoyen cela me paraît possible.

À côté du village il y a la foire qui est en réalité un hall d'exposants d'institutions essentiellement brésiliennes, administratives, financières, environnementales, techniques. On y voit quand même le ministère de l'eau du Tajikistan.

Et à côté il y a l'Expo ou l'on trouve principalement les stands nationaux: le Brésil bien sûr, une forte représentation asiatique, Chine, Japon, Corée, bien entendu le Sénégal qui vient promouvoir le Forum de Dakar, la Palestine et Israël ( séparés par la banque interaméricaine de développement), des organisations internationales, Banque mondiale FAO et UNESCO et last but not least le partenariat français pour l'eau qui, heureux hasard, est placé devant l'unique accès aux restaurants.

Tout cela est très animé en permanence par des présentations multiples, des "cafés", des cocktails évidemment... mais sans alcool! Impossible bien sûr de prétendre participer au centième de tous ces événements (d'autant plus qu'en même temps se déroule le Forum proprement dit) mais on peur y picorer une foule de choses intéressantes et bien entendu faire connaissance, retrouver, rencontrer et échanger.

J'ai eu l'occasion hier, sur le stand français, de présenter avec nos amis sénégalais les prémices du Forum de Dakar.

J'ai rencontré le représentant de la Fondation du Prince Albert de Monaco avec lequel nous avons évoqué le principe d'un événement qui serait coorganisateur avec IWRA pour préparer le prochain Forum. De fait la Fondation aimerait investir davantage le domaine de l'eau (actuellement elle est très présente seulement dans le domaine des océans) et pense que le prochain Forum serait pour elle une bonne occasion.

En fin de journée se déroulait une session fort importante qui traitait d'un dispositif de suivi des décisions et engagements du précédent Forum: 16 feuilles de route avaient été dessinées et confiées à des organisations " championnes" pour assurer leur mise en œuvre. C'est un dispositif que nous aurions aimé mettre en place à la fin du Forum de Marseille mais finalement ce sont les Coréens qui l'ont fait et c'est un vrai progrès: en effet par beaucoup de ceux qui doutent de l'intérêt d'une pareille manifestation la critique était faite d'une impression de "sur place" d'un Forum à l'autre. Cette initiative qui a été animée et suivie par le Conseil mondial de l'eau, a fait l'objet de rapports semestriels par les champions et d'un rapport final , présenté hier, qui détaille les actions réalisées depuis trois ans. Nous évoquerons dans la préparation du Forum de Dakar la façon de prolonger cette initiative.

Quatrième jour

C'est la 5° fois (depuis le Forum de Mexico) que se tient une conférence des autorités locales. Elles ont produit un manifeste un peu décevant car comportant peu d'engagements et le peu qu'elles réclament s'adresse plutôt aux gouvernements qu'à elles-mêmes. Il est probable que cela tient à la difficulté d'animer un travail préparatoire efficient malgré l'existence d'associations internationales actives de collectivités ( CGLU, ICLEI,...). Toutefois il est fort important que cette assemblée continue à travailler tant leur rôle est important, selon les pays, dans la mise en œuvres des politiques d'accès à l'eau et à l'assainissement et dans la prise en compte des écosystèmes locaux.

Les Brésiliens ont innové en invitant pour la première fois dans un Forum de l'eau le monde de la justice: "judges and prosecutors" se sont donc réunis (en large majorité Brésiliens bien entendu) et ont eux aussi produit leur manifeste. Cette initiative était fort bienvenue tant dans le monde d'aujourd'hui et donc dans celui de l'eau la question de l'encadrement législatif, national et international, est fondamental et reconnu. Rappelons-nous les avancées progressivement faites au cours des dernières années sur le droit à l'eau ou sur la ratification de l'accord sur les eaux transfrontalières.

Ainsi, dans un texte assez long dans lequel juges et procureurs manifestent (c'est le cas de le dire!) une vision très large de la problématique de l'eau, ils réclament un renforcement des cadres législatifs et réglementaires nationaux et internationaux pour une amélioration de l'accès à l'eau et à l'assainissement des populations, notamment défavorisées, qui par nature ont le plus besoin de cette protection juridique.

Voilà une nouveauté bienvenue à porter au crédit du Forum de l'eau.

Puisqu'on parle de nouveautés et de déclarations, ce Forum à aussi travaillé de façon transversale sur une déclaration relative au développement durable et il n'était pas inutile de faire encore une fois le lien entre la thématique de l'eau et les trois piliers du développent durable. Ce qui est intéressant, c'est que cette déclaration n'a pas été préparée sur la base du consensus, ce qui en affaiblit la portée, cf. la déclaration ministérielle, et a enrichi sensiblement celle-ci. De plus, elle a été lue solennellement lors de la cérémonie de clôture et a finalement eu davantage de portée que la déclaration politique. Au passage notons pour la fierté nationale que les représentants français ont largement contribué à sa rédaction. 

Fin du forum

Voilà, le 9° Forum est terminé, la cérémonie de clôture a eu lieu hier matin par les synthèses traditionnelles et les discours de remerciement, pas de percée conceptuelle ou politique majeure. En fait la nouveauté est venue du spectacle musical qui a terminé la séance: on s'attendait à une samba brésilienne d'enfer et on a eu Youssou N'Dour et son orchestre venu dans les bagages de la délégation sénégalaise, très nombreuse, et conduite par ministre de l'Hydraulique. En fait, il était là à double titre puisque Youssou N'Dour est aussi ministre de la culture!! Chaude ambiance qui laisse un peu présager de celle qu'il y aura à Dakar en 2021.

De fait le 9° Forum était déjà dans tous les esprits et nous avons eu avant même le début de ce Forum la semaine dernière une longue réunion du comité préparatoire du 9° Forum, comité constitué des deux parties, sénégalaise et Conseil mondial de l'eau, chargé de mettre au point l'accord qui sera signé à Dakar en juin prochain.

Jamais nous n'avons été aussi en avance dans l'agenda de préparation d'un Forum, espérons que c'est de bon augure. L'intention est de renouveler le format car beaucoup ont le sentiment que nous sommes arrivés à l'épuisement de ce modèle. Nous travaillerons donc dans la direction d'un Forum plus concret politiquement et qui cherchera à opérer à travers des priorités (démarche éminemment politique) tout en gardant un caractère populaire. Engagements, projets, initiatives, support important des pays africains, réunions préparatoires régionalisées, nous essaierons de rompre avec l'architecture institutionnelle qui a fait ses preuves par le passé mais qui s'essouffle maintenant.

Voilà notre menu pour les semaines à venir en vue d'une finalisation de l'accord en juin prochain à Dakar et d'un premier séminaire restreint de préparation.

Guy Fradin

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