La nécessité d’un travail collectif au niveau international
Le 16e Congrès mondial de l'eau s'est achevé vendredi dernier par l'adoption de la déclaration de Cancún. Bien que ces déclarations ou appels soient le lot commun de ce genre de manifestation, c'est la première fois qu'un tel texte conclut les travaux d'un Congrès d'IWRA. Même si l'impact d'une telle déclaration est très relatif, les organisateurs ont pensé qu'il est utile de valoriser ainsi les travaux du Congrès et de mettre ainsi en valeur les principaux "outcome" de la semaine.
Partant la communauté scientifique internationale de l'eau essaye de faire entendre une voix déjà largement audible dans les domaines du climat et de la biodiversité.
Les messages qu'elle adresse sont les suivant :
- les politiques actuelles doivent évoluer pour atteindre les objectifs du développement durable,
- l'accroissement des efforts interdisciplinaires de recherche est un point clef de cette évolution,
- dans le domaine de l'eau le dialogue entre scientifiques et politiques doit être renforcé, sans doute à travers les experts et avec l'intervention de la société civile,
- la diffusion des bonnes pratiques est aussi un point clef, elle fait partie de la relation évoquée ci-dessus.
La déclaration s'est efforcée de faire des recommandations spécifiques à chacun des acteurs, politiques, scientifiques et société civile. On peut en prendre connaissance sur : http://iwra.org/doc/XVIWWC_CancunDeclaration.pdf
Tout cela sert-il à quelque chose ? J'ai déjà répondu à cette question lors du dernier Forum mondial de l'eau de Corée en 2015. J'ajoute que la question qui se pose est en réalité : que faire pour que cela serve à quelque chose ?
De ce point de vue, la France, ses ministères, ses établissements publics apparaissent dramatiquement frileux avec un regard tourné principalement vers notre petit hexagone. Or il n'y a aucune raison de ne pas donner à la problématique de l'eau la même importance qu'au climat et à la biodiversité : certaines de nos régions connaissent déjà l'impact du réchauffement sur le régime des sécheresses et des inondations, et même si la résolution de ces problèmes passe par des mesures locales la nécessité d'un travail collectif au niveau international est impérative.
Le prochain Congrès mondial de l'eau, le 17e, aura lieu dans la bonne ville de Daegu en Corée bien connu des amis du 7e Forum mondial de l'eau. Ce sera à l'automne 2019 ou 2020, la date sera fixée d'ici 3 mois. En tout état de cause, ce sera une étape vers le 9e Forum mondial de l'eau qui se tiendra à Dakar au printemps 2021.
L’agriculture irriguée en Afrique australe.
Le programme de ce Congrès est bien rempli et alors que la cérémonie de clôture doit se dérouler en fin de matinée, de nombreuses sessions sont en cours et la participation ne faiblit pas. Je ne suis pas en mesure d'évaluer la qualité de toutes les sessions mais toutes celles auxquelles j'ai participé, soit comme Président soit comme simple participant, étaient de bonne qualité avec des présentations fort intéressantes. Les "case studies" sont à la mode, chaque session en présente en moyenne quatre.
Toutes ces études sont en ligne sur le site du Congrès: www.worldwatercongress.com
Ce matin, j'ai assisté à la présentation d'un projet mis en œuvre par l'université nationale australienne avec l'appui de l'ICRISAT (recherche en productions végétales en zones semi-arides) dans trois pays d'Afrique australe, Zimbabwe, Mozambique et Tanzanie. Le projet a pour objectif le développement de périmètres irrigués dans ces pays. A noter que 7 millions d'ha sont équipés et que seulement 5 millions sont en production. Cherchons l'erreur.
Le projet, s'appuyant sur la dynamique des diverses organisations locales de producteurs, promeut techniques et pratiques nouvelles dans le cadre d' « irrigation platforms » qui ont pour vocation de diffuser ces nouveautés mais aussi de favoriser le partage entre les différents acteurs et interpeler le niveau politique.
De fait, chaque intervention montre que les facteurs limitants à l'amélioration de l'agriculture irriguée et en particulier de sa productivité sont des facteurs relevant des politiques agricoles, nationale et pourquoi pas régionale : marchés, prix, foncier, recherche, vulgarisation,... Malheureusement il semble que l'évolution soit lente en la matière, et que la conception de ces politiques soit encore éloignée des préoccupations relatives à la productivité notamment de l'eau. Je me souviens avoir visité le Zimbabwe en 1982 à une époque où le gouvernement s'apprêtait à détruire la partie productive de l'agriculture zimbabwéenne portée par les fermiers blancs au profit de l'agriculture familiale principalement le fait des fermiers noirs. Marché de dupes et l'agriculture zimbabwéenne est toujours dans le même état 35 ans après.
La situation n'est pas identique bien sûr dans les pays voisins mais j'ai le sentiment que d'une façon générale les politiques agricoles de ces pays n'ont pas fait l'objet de la priorité nécessaire et des adaptations nécessaires, y compris dans le cadre d'une concertation régionale.
Là, on s'éloigne un peu de la relation entre science et politique même si dans ces pays particulièrement, il manque cruellement de données de bases non seulement en termes quantitatifs mais aussi qualitatifs et dont la pertinence soit adaptée à la prise de décision politique.
Qu'est ce que l'IWRA ?
IWRA est une association américaine de plus de quarante ans d'âge ( créée en 1971). Elle constitue un réseau international du savoir dans le domaine de la ressource en eau.
Sa vocation est la mobilisation et la diffusion des connaissances dans une approche multidisciplinaire vers un large public d'institutions, de professionnels, d'enseignants et d'étudiants.
Son objectif est de développer et améliorer la connaissance de la ressource en eau par la stimulation des activités de recherche, formation et éducation dans ce domaine.
Son activité consiste à développer les échanges entre les acteurs qui partagent cet objectif, elle s'appuie pour cela sur des branches locales au niveau régional ou national ("chapitres").
Ainsi IWRA agit à travers un certain nombre de publications, notamment sa revue "water international", (8 publications par an où l'on trouve articles, notes techniques, points de vue, revues d'ouvrages, etc,...),"policy papers", livres ainsi que de séminaires (physiques ou en ligne) et bien sûr du Congrès mondial de l'eau tous les deux ou trois ans. De plus elle contractualise des projets d'amélioration et diffusion de la connaissance: ainsi le Congrès de Cancùn est l'occasion de signer avec l'entreprise publique Coréenne Kwater (responsable de l'eau et de l'assainissement en Corée) le lancement d'un travail conjoint sur le "smart water management".
Association américaine, l'IWRA ne travaille qu'en anglais ce qui est clairement un obstacle à une participation pour la francophonie. A contrario, cet obstacle surmonté, elle offre une opportunité pour diffuser des idées dans la sphère anglophone.
Bridging science and policy. Un enjeu mondial majeur pour l'eau au 21e siècle. (suite)
On le sait, il se passe autant de choses intéressantes dans les discussions de couloir que dans le cadre des sessions, sinon plus parfois.
Les panels dit de haut niveau sont un peu décevant car on y retrouve majoritairement les "usual suspects" et forcément leur contenu donne un air de déjà vu. Il m'apparaît soudain que ce Congrès dont le thème est très politique n'organise pas autour de sujets prêtant fortement à débats sinon à polémiques (au cours de cette deuxième journées étaient notamment évoqués le changement climatique et les interventions publiques et privées dans l'accès à l'eau et à l'assainissement) une confrontation directe entre politiques (très peu représentés) et les scientifiques. Il y a pourtant beaucoup à dire, notamment sur la nécessaire organisation de la chaîne de communication et des structures intermédiaires entre les scientifiques et le pouvoir décisionnaire selon les niveaux, national ou local. Mais la question se pose aussi de la nécessaire simplification de l'état des connaissances pour permettre la prise de décision. Cette simplification ne peut être le fait des scientifiques mais de structures dont c'est la mission ( suivez mon regard).
On pourrait aussi s'attarder sur un des points qui devraient être commun aux scientifiques et aux politiques: qui et dans quelles conditions va vraiment bénéficier des progrès de la science et de la technologie? L'adjectif "smart" est aujourd'hui ajouté à de nombreux substantifs: water, agriculture, city,...n'y a-t-il pas aussi une réflexion à conduire sur ce que pourrait être le "smart citizen"? L'irruption des sciences sociales dans le paysage entraîne immédiatement un débat passionné.
Les sessions sont en revanche d'un bon niveau technique et appellent toutes à la présentation de "case studies" très riches en information de toutes sortes. Je pense par exemple à l'usage de la planification urbaine comme moyen de prise de décision pour la distribution de l'eau au Chili qu'il serait passionnant de discuter en profondeur avec les Chiliens.
Bridging science and policy. Un enjeu mondial majeur pour l'eau au 21e siècle.
« Cancún, contrairement à ce qu'on pourrait penser, n'est pas au Mexique mais aux États-Unis. A tout le moins, le site très touristique du bord de mer où se trouve le centre des Congrès. Ce centre moderne a été choisi par nos hôtes Mexicains en raison de sa capacité à accueillir un Congrès de dimension internationale dans d'excellentes conditions. Pour autant, c'est un peu surprenant de rassembler les défenseurs de la ressource en eau dans un site dont il n'est pas nécessaire de l'étudier avec précision pour savoir qu'il a une empreinte écologique non négligeable!
Cela n'a pas empêché le Congrès de démarrer ses travaux aujourd'hui. Le thème du Congrès est "bridging science and policy" sujet qui interpelle d'une façon générale politiques et scientifiques notamment les institutions académiques, nationales ou internationales comme "l'international water resource association" (IWRA)
D'abord la classique "opening ceremony" en présence bien sûr des autorités Mexicaines. Un des deux discours d'accueil était prononcé par Patrick Lavarde, Président de l'IWRA et accessoirement membre du Conseil général de l'environnement et du développement durable.
Ensuite un " panel de haut niveau" sur l'eau et les objectifs de développement durable et enfin les classique sessions thématiques: votre serviteur présidait une session sur "water security and climate change"
L'objet du Congrès est de promouvoir le positionnement de références scientifiques dans la prise de décision politique. Il s'agit de trouver les voies et moyens de faire le pont entre le scientifique et le politique notamment sur les thèmes de l'eau (pollution, assainissement, réutilisation de l'eau, protection de la ressource et des écosystèmes aquatiques,...). J'ai pu constater dès cette première journée que les deux parties ne se rencontrent pas ou peu (un peu comme dans la vraie vie!!!): les discours politiques d'ouverture et du panel n'évoquent pas la science et les sessions thématiques de l'après-midi s'arrêtent aux analyses scientifiques: j'ai beaucoup troublé une intervenante Japonaise qui présentait une analyse des coûts des événements extrêmes en lui demandant quelle serait sa décision si en tant que ministre chargée des risques elle prenait connaissance de son étude!
Espérons que les jours prochains vont rapprocher les deux communautés.
Un mot encore sur l'excellence de l'organisation et la présence de nombreux jeunes qui assurent le rapportage des sessions thématiques. »
Guy Fradin